L’énigme de l’épave

L’énigme de l’épave de Saint-Pierre-Quiberon

Le mercredi 7 février 2001, les employés municipaux occupés à la dépollution des rochers souillés après le naufrage de l’Erika donnent l’alerte. À la marée descendante, le squelette noirci d’un bateau, long de 16 mètres et large de cinq, est apparu sur la plage de Penthièvre, à Saint-Pierre-Quiberon. Curieux et touristes remplacent alors les habituels chars à voile circulant sur cette plage. Et les hypothèses sont vite échafaudées :  » drakkar, galère romaine, galion… « . Une seule certitude pour Gilbert Prigent, l’adjudant-chef de la brigade de la gendarmerie de Quiberon :  » C’est magnifique ! Il n’y a aucune partie métallique, pas un bout de ferraille. Tout est en bois, avec des chevilles et des menuiseries extraordinaires. Tout est chevillé à la main.  » Un mode de construction qui justifie que l’étrange carcasse, qui se dévoile seulement durant quelques heures à marée descendante, ait au moins deux ou trois siècles d’âge.
Sur une quarantaine de centimètres de hauteur, un petit quart de la carcasse, membrures et bordés, émerge à une cinquantaine de mètres de la dune. C’est la grande marée de coefficient 105, alliée à de fortes rafales de tempêtes, qui a provoqué un fort désensablement de la côte ouest de la presqu’île.  » En certains endroits comme dans le port de Portivy ou sur la Côte sauvage, nous avons constaté que le sable avait baissé d’un mètre d’épaisseur, remarque Yvon Noé, adjoint à la mairie de Saint-Pierre-Quiberon. En une semaine, on a assisté à ce phénomène de désensablement sur l’ensemble du littoral.  » Et si personne n’a jamais déclaré l’étrange carcasse, certains évoquent une brève observation dix ans auparavant, des enfants parlent d’une première apparition lors des vacances de la Toussaint…

Le vestige insolite

Des mesures sont alors prises. D’abord l’établissement d’un périmètre de protection, puis la venue des experts.
Vendredi 9 mai, Yannick Lecerf, conservateur du service d’archéologie de la Drac (Direction régionale des Affaires culturelles), s’est exprimé.  » À première vue, cette épave est un peu courte pour un drakkar ou une galère romaine. Elle est intéressante par sa structure de construction, les matériaux utilisés, l’épaisseur du bois. Mais elle peut aussi bien remonter à l’ère gauloise ou avoir été un bateau de charge du dix-septième siècle.  » L’archéologue reste prudent. Car l’engouement ne faiblit pas : contrairement aux épaves sous-marines, celle-ci est visible.  » Dans la région, il y a deux fantasmes, explique Yannick Lecerf, les drakkars et les navires gaulois. On n’en a jamais retrouvé ici. Il n’y a pas de traces de drakkar au sud de la côte, excepté une tombe viking sur l’île de Groix. L’autre fantasme fait référence à la bataille des Venettes, qui a opposé les marins gaulois aux galères romaines de Jules César. La chute du vent a provoqué la défaite des Gaulois car leur gros bateaux n’étaient pas maniables.  »
L’implantation du mât ne pouvant être étudiée, puisque le berceau du bateau est rempli de galets et de sable, les experts de la direction des antiquités sous-marines étaient attendus pour une première fouille et pour effectuer des prélèvements de bois. Avec les techniques d’étude actuelle de datation par carbone 14 ou par dendrochronologie (étude des cernes de croissance du bois), on peut en effet dater l’épave avec précision mais aussi retrouver l’essence du bois et l’endroit où il a poussé.
Mardi 13 février, la mairie de Saint-Pierre-Quiberon, conseillée par Patrick Grandjean, directeur du Service de l’archéologie sous-marine à Marseille, décide toutefois de réesensabler l’épave pour lui éviter de subir les assauts des marées à venir et protéger le bois de l’air et du pourrissement. Auparavant, Bernard Vincent, chercheur spécialisé en datation par dendrochronologie, membre d’un laboratoire de recherche du CNRS basé à Renne, accompagné par Thierry Lorho, du service régional d’archéologie, sont venus sur les lieux pour couper des morceaux de bois. Premières conclusions sur l’estran : les arbres employés, très noueux, portent de nombreuses branches et ressemblent à des arbres du bocage breton ; leur dureté les fait supposer d’époque moderne. Sur ce bois qui ne pouvait être antérieur au Moyen-Âge, la distance entre les cernes et leurs formes sont analysées puis comparées.  » Pour la Bretagne, nous avons en archivage des références qui remontent sans discontinuer jusqu’en 492  » (époque de la chute de l’empire romain).

Et voguent tous les rêves

Michel L’Hour est l’un des quatre archéologues de la Drassm, le Département de recherches archéologiques subaquatiques et sous-marines, un service du ministère de la Culture basé à Marseille averti de chaque découverte par le quartier des Affaires maritimes locales. Cet archéologue sous-marin est responsable des expertises des découvertes de la côte atlantique, de l’Espagne à la Belgique : sur cette côte, il existe entre 9 000 et 10 000 épaves connues, il y en aura sans doute 25 000 quand l’inventaire sera fini ; seules 150 ont déjà été expertisées. En créant une association et en courant les subventions, Michel L’Hour a réussi à monter le plus gros chantier sous-marin français autour des épaves des bateaux corsaires de Saint-Malo : un site découvert en 1994, déclaré en 1995, expertisé en 1996.
Début avril, Michel L’Hour se rend à Quiberon pour expertiser l’épave.  » Ce type de découverte n’est pas rare, mais ici, l’imaginaire s’est mis en marche très vite. J’aurais pu envahir l’Amérique avec tous les drakkars que l’on m’a signalés. Pour le moment, d’après le rapport de mon collègue archéologue terrestre, il s’agit d’éléments d’architecture navale, plutôt de type européen, que l’on peut dater entre le seizième et le dix-neuvième siècle. L’échantillon fait penser à un bateau assez costaud. La dendrochronologie a permis de dater le bois : il a été coupé entre 1695 et 1705. C’est du bois de bocage, un chêne noueux du littoral. Le navire a été construit dans la région durant le premier quart du dix-huitième siècle. Je pense qu’il était plutôt de petite dimension, 25 mètres de long sur 7 à 8 mètres de large, avec une capacité de 80 tonneaux.  »
Pour définir le type du bateau, sa forme générale, Michel L’Hour et sa collègue Florence Richez plongent pour retrouver l’étambot, cette pièce qui s’élève à l’arrière du navire et porte le gouvernail. Après avoir dégagé des paquets de sable, ils le trouvent et constatent qu’il s’agit d’une  » belle pièce d’un seul tenant « .

Chasseur d’archives, chasseurs de trésors

Mais les quelques éléments rassemblés ne suffisent toujours pas à identifier l’épave. Avant de la dégager encore mieux (Michel L’Hour et son équipe devraient revenir en octobre terminer l’expertise en eau pleine), il faut dénicher dans les documents historiques des renseignements qui lui correspondraient. Pour ce bateau breton du dix-huitième siècle, plusieurs hypothèses sont envisagées : s’agissait-il d’un navire revenant de Saint-Domingue, chargée d’épices et de bois rouges ? Un de ces petits cotres armés en course avec six ou huit canons, qui patrouillaient pour chasser l’Anglais ? Un souvenir de la Chouannerie avec la tentative de débarquement des émigrés de Quiberon qui voulaient reprendre le pouvoir ?
André Guillevic, retraité originaire de Saint-Pierre-Quiberon, est un chasseur d’archives, l’un de ces passionnés qui sillonnent la France pour retrouver les épaves d’un site donné. Venu tous les jours sur le site, avec ses photos et ses documents, il retrouve la trace écrite de neuf bateaux échoués au dix-huitième siècle sur cette plage de Penthièvre. Tous étaient enregistrés pour les assurances. Souvent, ces navires avaient plusieurs propriétaires qu’il fallait rembourser : après l’échouage, le tribunal décidait du sort du bateau et du chargement.
Gérard Bousquet est venu de Rennes, lui aussi avec ses archives. Lorsqu’il a commencé il y a vingt ans, il ne s’intéressait qu’aux trésors.  » Mais au bout d’un moment, ils oublient cette notion de trésor, constate Michel L’Hour. Les épaves sont des machines à rêves.  »
Deux des bateaux retrouvés par André Guillevic et Gérard Bousquet pouvaient correspondre à l’épave retrouvée à Quiberon. L’un, le Mentor, un négrier, effectuait la triangulaire : chargé d’esclaves en Afrique, il se rendait à Cuba ou à Saint-Domingue et revenait à Nantes. Il transportait entre autres 3 000 piastres : les planteurs français des Antilles renvoyaient leurs bénéfices en France pour qu’ils soient placés. Mais le Mentor est vite exclu par Michel L’Hour : ce 200 tonneaux était beaucoup plus grand que l’épave d’aujourd’hui.
L’autre, la Duchesse d’Aiguillon, du nom d’une nièce de Richelieu, un 100 tonneaux qui rentrait de Saint-Domingue au port de Nantes, chargé de sucre, de coton et de bois rouge, s’est échoué le 8 janvier 1765. Une grosse tempête l’a poussé vers la côte et l’a obligé à jeter l’ancre, laquelle s’est cassée. Le navire était commandé par Jean-Rogatien Mouraud. Ce sont les œuvres basses de la charpente de la Duchesse d’Aiguillon qui ont été mises au jour par la tempête du 7 février 2001.

Quel avenir pour la Belle Duchesse ?

Cette découverte sera-t-elle jugée suffisamment importante pour justifier les investissements lourds que requiert sa conservation ?
 » Il y a tout un travail de préparation et des moyens matériels importants pour réaliser cette opération tout en gardant l’épave d’un seul tenant, mais cela ne devrait pas poser de difficultés particulières, estimait Yannick LECERF. Ensuite, il faudra encore traiter le bois pour qu’il ne sèche pas trop vite.  » Retirer un objet en bois qui a séjourné quelques siècles dans la mer pour le laisser à l’air libre équivaut en effet à le condamner à mort : la cellulose ayant disparu, s’il sèche, il est réduit en poussière ; pour l’éviter, on doit traiter le bois en l’imprégnant de résine. Pour les métaux, le processus est différent : pour éliminer les chlorures, les objets sont immergés dans des bains d’eau douce ; l’électrolyse accélère le processus. Les pièces déchlorurées sont rincées, séchées, puis un microsablage ôte les dernières concrétions.
Fouille, levage, conservation avec traitement, vaporisation d’humidité en permanence sous hangar, ces méthodes parfaitement connues sont utilisées en Angleterre pour la conservation de La Mary Rose, vaisseau anglais du quatorzième siècle, ou en Suède pour le Wasa, vaisseau de guerre du dix-septième siècle. Mais si les conquêtes sous-marines font rêver le public, les musées ne se bousculent pas pour prendre en charge les objets, car ces travaux reviennent cher.
Seront-ils mis en œuvre pour créer à Saint-Pierre-Quiberon un musée d’archéologie navale ? Ce serait en tout cas un bel atout pour la commune.

3 réflexions sur « L’énigme de l’épave »

  1. Bonjour,

    Je viens d’achever l’écriture d’un roman pour enfants que j’ai intitulé : » L’énigme de l’épave », bien évidemment inspiré de la présence de l’épave de la « Duchesse d’Aiguillon » sur la plage de Penthièvre. Considérez-vous le titre de votre premier article relevant des droits d’auteur ou pas? De même pour la deuxième photo.
    Merci de me rendre réponse.

    Avec mes salutations les meilleures.

    Jean- François Ménoret.

  2. Bonjour Monsieur Ménoret,

    Où peut-on se procurer votre ouvrage « L’énigme de l’épave » ?

    Bien à vous,

    Florence, une ancienne du Home des Pins qui n’a jamais oublié vos histoires de korrigans au son de votre pipeau,

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